
Kisangani : la rumeur meurtrière de la “disparition des sexes” sème la terreur
Plus de dix morts déjà, dont deux médecins et deux infirmiers pour ne compte que celà. Une rumeur absurde, nourrie par certaines églises dites de réveil, plonge la Tshopo dans la psychose et la violence. Le dernier incident en date a failli coûter la vie à un technicien de la RTNC.
Une rumeur absurde devenue poison social
Depuis plusieurs semaines, la ville de Kisangani et plusieurs territoires de la province de la Tshopo vivent au rythme d’une rumeur aussi insensée que meurtrière : des individus auraient le pouvoir mystique de « faire disparaître les organes génitaux masculins» d’autrui, parfois par une simple poignée de main.
Une croyance digne d’un conte, mais qui, dans la réalité, vire au cauchemar collectif.
Les marchés bruissent d’histoires invérifiables, les réseaux sociaux s’enflamment, et les rues se transforment parfois en tribunaux populaires. Chaque accusation, même infondée, peut déclencher un lynchage.
« C’est la folie. On tue d’abord, on vérifie après », soupire un policier de la commune de Mangobo.
La peur a pris le pas sur la raison. Et les chiffres donnent le vertige : au moins dix morts déjà, dont deux médecins et deux infirmiers, victimes d’une justice populaire déclenchée par cette rumeur sans le moindre fondement scientifique.
Des soignants pris pour des sorciers
Les faits recensés dans différents quartiers de Kisangani révèlent la gravité du phénomène. Il en est de même dans l’arrière province. Dans le territoire d’Isangi par exemple, certains soignants ont été accusés d’avoir « pris » les organes des gens non autrement identifiés parmi la population. D’autres ont été soupçonnés d’appartenir à des « réseaux occultes » liés à des pratiques mystiques.
Résultat : plusieurs d’entre eux ont été passés à tabac, brûlés vifs ou laissés pour morts avant même l’arrivée des forces de l’ordre.
« C’est la barbarie la plus totale », dénonce un activiste des droits humains.
« Ces meurtres sont le fruit d’une manipulation religieuse et d’une crédulité exploitée par des charlatans qui se déguisent en pasteurs. »
Mercredi 8 octobre : un technicien de la RTNC échappe de peu au lynchage
La dernière scène d’horreur s’est produite mercredi 8 octobre 2025, en plein centre-ville. Un technicien de la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC) a été encerclé par une foule déchaînée après qu’un homme l’a accusé de lui avoir « fait disparaître le sexe » par simple contact.
Les cris, la panique.
L’homme de média n’a dû sa survie qu’à l’intervention rapide d’un homme qui est venu prendre sa part au lynchage. Il s’est ravisé sur place, et a exigé de palper du doigt la disparition du sexe de la prétendue victime. Même une dame a mis la main dans le pentalon. Vérifications faites, toutes les pièces de l’appareil sexuel était en place, intactes. Et la police est intervenue.
Ironie tragique : la prétendue “victime”, auteur de la fausse accusation, a été arrêtée et déférée devant la justice.
Jugée en procédure d’urgence, elle a été condamnée à 12 mois de servitude pénale pour dénonciation calomnieuse et incitation à la violence. Une décision saluée par plusieurs observateurs, mais jugée insuffisante pour enrayer le fléau.
Les églises de réveil sous le feu des critiques
Car derrière cette psychose se cachent des églises dites de réveil, promptes à exploiter la peur pour renforcer leur aura spirituelle. Dans certains temples, des pasteurs autoproclamés prétendent « guérir miraculeusement » les hommes dont le sexe aurait disparu « par sorcellerie ».
Devant des fidèles en transe, ils font faire de faux témoignages et mettent en scène de fausses guérisons, avec cris, pleurs, prières spectaculaires. Ces témoignages fallacieux sont diffusés sur les ondes à longueur de journée, amplifiant la rumeur.
« C’est une industrie de la peur », explique un sociologue de l’Université de Kisangani. « Ces pasteurs savent que plus la panique grandit, plus les fidèles affluent, et plus les offrandes pleuvent. »
Pour l’heure, aucune de ces églises n’a été inquiétée. Les autorités religieuses officielles, comme les instances judiciaires, gardent encore un silence assourdissant. Un silence que beaucoup assimilent à de la complaisance.
Quand la superstition tue la raison
Dans un pays où le système éducatif reste fragilisé et où la science peine à s’imposer, la superstition trouve un terrain fertile. Les médecins rappellent pourtant qu’il est impossible biologiquement qu’un organe disparaisse instantanément.
Les cas évoqués relèvent souvent de troubles psychologiques, de crises d’angoisse aiguës ou de dysfonctionnements temporaires liés au stress. Mais la parole médicale, rationnelle et calme, pèse peu face aux prêches hystériques et à la peur viscérale de l’invisible.
« Ce que nous voyons ici, c’est une épidémie de panique collective », estime un psychologue local. « C’est la peur qui fait mal, pas la magie. »
La justice populaire : un retour à la jungle
Au-delà du grotesque de la rumeur, c’est la montée inquiétante de la justice populaire qui alarme les observateurs. La foule se substitue à l’État, les émotions remplacent les preuves, et la vengeance devient loi. Chaque fausse accusation devient prétexte à une exécution sommaire. Et les victimes, souvent innocentes, paient le prix de l’ignorance et du désespoir.
Les forces de l’ordre se disent dépassées :
« Comment arrêter une foule de 200 personnes qui croient voir le diable ? », confie un officier sous couvert d’anonymat. La justice, elle, tente tant bien que mal de suivre, mais ses moyens limités et sa lenteur chronique sapent la confiance de la population.
Appel à la raison et à la responsabilité
La situation à Kisangani est aujourd’hui un test pour les autorités. Si rien n’est fait, la rumeur pourrait s’étendre à d’autres provinces et provoquer de nouveaux drames.
Il est temps que le gouvernement provincial et national rompe le silence et agisse : en poursuivant les responsables religieux qui propagent la peur ; en menant des campagnes de sensibilisation sur la désinformation et la superstition ; en renforçant la protection des personnels de santé et des civils menacés.
Les médias locaux ont également un rôle crucial à jouer : informer, expliquer, démystifier. Car la vraie disparition qui menace aujourd’hui Kisangani, ce n’est pas celle des organes masculins, mais celle de la raison, du discernement et de la dignité humaine.
Encadré : Le bilan à ce jour
Plus 10 morts recensés dans la province de la Tshopo depuis le début de la rumeur.
2 médecins et 2 infirmiers parmi les victimes et d’autres personnes. 1 technicien de la RTNC sauvé de justesse d’un lynchage. 1 accusateur condamné à 12 mois de servitude pénale. 0 arrestation à ce jour parmi les pasteurs ayant propagé la rumeur.
Éditorial : Ne pas laisser l’obscurité gagner
Ce qui se joue à Kisangani dépasse le simple fait divers. C’est un affrontement silencieux entre la lumière de la raison et l’ombre de la peur.
Tant que la superstition sera plus forte que la vérité, tant que les charlatans parleront plus fort que les savants, la société congolaise restera vulnérable aux rumeurs les plus absurdes.
La mort ne peut pas être une réponse à la croyance. La foi n’est pas le mensonge.
Il est temps de choisir la vérité, ou le chaos.
Vincent BARUANI Mwenda EL’MOBACKY BIN KATUMBI
Rédaction
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